Serge Lifar ou la révolution de la danse

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Dernier des prestigieux danseurs formés par Diaghilev, c'est presque par accident que Serge Lifar, fils d'un fonctionnaire russe, né à Kiev le 2 Avril 1905, découvrit sa voie un certain jour de 1920 alors que, se plaisant à parcourir au hasard les rues de la ville dans le chaos de la révolution bolchévique, ses pas d'adolescent le conduisirent jusqu'à l'école de Bronislava Nijinska où il resta médusé à la vue des danseurs à la barre:
"J'étais sorti d'un monde chaotique" écrira-t-il en 1965 dans Ma Vie, "et j'avais trouvé l'ordre et l'harmonie".

A 15 ans il a passé depuis longtemps l'âge idéal pour commencer à étudier la danse... et il lui faudra vaincre les nombreuses réticences de Nijinska avant qu'elle ne consente à l'accepter parmi ses élèves...
Pourtant il ne reculera devant rien, et grâce à son obstination acquiert très vite les bases nécessaires à l'accomplissement de son rêve.

Le destin intervient une seconde fois en sa faveur lorsque, deux ans plus tard, Diaghilev toujours à la recherche de danseurs masculins pour ses Ballets Russes, demande à Nijinska de lui envoyer ses cinq meilleurs élèves...

Serge Lifar n'est pas sur la liste car son professeur estime qu'il n'est pas encore prêt... Cependant, l'un de ses camarades ayant fait faux bond à la dernière minute, c'est lui qui prend sa place et rejoint la troupe à Paris en 1923.

D'une grande beauté physique, doté d'une présence rayonnante et d'un ego démesuré, le nouveau venu plein d'ambition fait alors tout ce qu'il peut pour se faire remarquer de Diaghilev... allant même jusqu'à menacer de se faire moine... Et le directeur des Ballets Russes, qui n'est pas resté insensible à son charme, après l'avoir envoyé parfaire sa formation auprès de Nicolas Legat, Pierre Vladimirov et Cecchetti (et lui avoir fait rectifier les dents et refaire le nez pour accentuer son type asiatique...), le nomme soliste en 1924 et premier danseur l'année suivante, promotion qui fut reportée d'un an après que Lifar ait refusé une invitation au petit déjeuner de Diaghilev...
Dans l'ouvrage qu'il consacre au célèbre imprésario Richard Buckle comment ainsi l'anecdote:
"On peut considérer avec le recul que ce fut une chance... Car, si Diaghilev avait fait de Lifar une étoile un an plus tôt, il n'aurait peut-être jamais engagé Anton Dolin".

Serge Lifar participe alors aux créations des ballets de Nijinska et de Massine, Le Train Bleu (1924) ou Zéphyre et Flore (1925), mais ce sera surtout Balanchine qui transformera le jeune homme de Kiev en dieu de la scène, en lui créant des rôles comme celui d'Apollon Musagète (1928) et Le Fils Prodigue (1929), qui lui ouvriront les horizons du style néo-classique.

Lorsque Serge Diaghilev décède en 1929, et que disparaissent les Ballets Russes, la carrière de Lifar prend alors un tournant décisif qui le voit accéder en quelques années aux plus hautes fonctions de l'Opéra de Paris, où, engagé d'abord comme interprète, il devient étoile, maitre de ballet et chorégraphe, et enfin directeur en 1933.

La prestigieuse institution française est tombée à l'époque à son plus bas niveau et a grand besoin de réformes, et par son prestige et son enthousiasme irrésistible, Serge Lifar va faire revivre la compagnie moribonde et la rétablir parmi les meilleures. Il écrira lui-même dans sa biographie que lorsqu'il accède au poste de directeur,
"Il n'y avait pas de troupe, pas de public, et pas de tradition vivante digne de ce nom".

A une époque où le ballet, relégué au rang de divertissement pour vieil abonné, sert encore d'accompagnement à l'opéra, cet ancien usage sera enfin aboli avec l'instauration d'une soirée hebdomadaire essentiellement consacrée à la danse, les Mercredi du Ballet, élargis plus tard en 1940 en un mois complet.
Quand aux spectateurs habitués à tenir salon pendant les spectacles, ils seront dorénavant plongés dans l'obscurité pendant la représentation et obligés de se concentrer sur les évènements de la scène et non plus ceux de la salle dont l'accès sera, dans le même ordre d'idées, interdit dès les premières mesures de l'orchestre, afin que cessent les interminables allées et venues.
Les danseuses dont le laisser aller était évident voient, elles, s'ouvrir la chasse aux collants percés, aux élastiques qui remplacent sur les chaussons les rubans de satin, et le nouveau directeur les oblige à danser sur les pointes (?!!..), auxquelles elles avaient négligemment pris l'habitude de substituer de confortables demi-pointes... Dans un autre domaine, les danseurs masculins seront priés de se raser... et un véritable maquillage professionnel fait son apparition...
Parmi ce train de réformes méritant d'être signalées, l'une d'elle et non des moindres, ordonnera la fermeture du Foyer de la Danse  et mettra enfin un point final à la réputation de "bordel chic" que s'était acquise au cours des années le Palais Garnier.

Après avoir rétabli cet ordre primordial, Serge Lifar s'attaqua à la partie la plus importante de sa tâche: former des interprètes à la technique sans faille... Considéré lui même comme le meilleur danseur européen de sa génération, il institua une classe d'adage où il enseignait en personne, et bien qu'ancien élève de Cecchetti remplaça la technique italienne par celle de l'école Vaganova, faisant venir à Paris les grands professeurs russes, Preobrajenska et Kschessinskaïa.

Il formera ainsi des étoiles comme Darsonval, Schwartz ou Chauviré, capables d'exécuter les oeuvres du répertoire comme les ballets les plus modernes... les siens en particulier...
Car s'il remonta les ballets classiques, Lifar mit en scène à l'Opéra plus de 50 de ses créations, mettant en scène sa théorie de la chorégraphie selon laquelle la danse doit créer elle même son propre rythme et ne pas se faire l'esclave de la musique. Un concept qu'il démontre dans Icare (1935), simplement accompagné par des percussions qui ne furent ajoutées qu'une fois la chorégraphie terminée. Et s'il utilisa des musiques plus conventionnelles dans ses ballets suivants il ne cessa d'exiger des compositeurs que les rythmes obéissent à la danse.

Tout en conservant une structure classique la plupart de ses créations seront considérées comme modernes, et leurs thèmes tirés de la mythologie et des légendes anciennes, ou encore de la Bible, Prométhée (1929), Bacchus et Ariane (1931), Icare (1935) etc..., attirèrent à la danse un public sérieux d'un nouveau genre. Avec la collaboration de ses amis, Cocteau (Phèdre), Derain, Bakst ou encore Picasso (Icare), Lifar élabora des ballets qui, considérés à l'heure actuelle comme les purs produits d'une époque, ont peut-être en cela mal vieilli, ce qui pourrait expliquer pourquoi seul un très petit nombre d'entre eux (Les Mirages, Suite en blanc...) est encore représenté aujourd'hui.

Cependant la raison la plus évidente de cette disparition, et sans doute la plus probable, tient au fait qu'il s'agissait en majorité de ballets trop personnels... dans lesquels le chorégraphe s'était attribué la plupart du temps le premier rôle, incapable de résister à ce penchant narcissique notoirement connu qui le fit étaler son ego sans aucuns scrupules en d'innombrables occasions...

En témoigne le véritable scandale qu'il déclancha un soir à Londres, jaloux du triomphe qu'avait obtenu sa partenaire Alicia Markova, ou encore l'importance qu'il se donna lorsqu'ils dansèrent ensemble Giselle en Amérique, inspirant ces lignes à un critique:
"Son interprétation de Giselle justifierait que l'on change le titre du ballet en Albrecht".

Gore Vidal rapporte cette conversation qu'il eut à une certaine occasion avec Antony Tudor:
- "J'ai toujours voulu voir Serge Lifar. C'est fait... et tout est vrai..." me dit Tudor
-"Qu'est ce qui est vrai" demandais-je?    Tudor répondit:
-"Il est aussi insupportable, non odieux, que je l'ai entendu dire..."

Quoi qu'il en fut Lifar est célébré, voire adulé, par les amateurs de danse de son époque qui le décrivent comme
"Une oeuvre d'art, un chef d'oeuvre de la nature" ou encore
"Un félin, un corps à la Donatello, avec des cuisses longues, le genou pur, la cheville mince et sèche, le thorax bombé, vaste et profond, où il retient en sautant un souffle inépuisable".
Car ce personnage au caractère versatile, voire ombrageux, égocentrique et mégalomane, est extrêmement séduisant et doué d'un charisme indéniable.
Plus qu'un danseur étoile, Serge Lifar était une véritable célébrité qui fréquentait le Tout Paris:

Son ego exige qu'il soit continuellement en représentation, et l'ami de Paul Valery, Stravinsky ou Arthur Honegger deviendra une figure mondaine capable, en 1958, de provoquer en duel le marquis de Cuevas.

La querelle a pour objet la reprise du ballet Suite en Blanc, dont Lifar lui avait par lettre recommandée, interdit la représentation... Au cours de la discussion un peu vive, le marquis soufflette Lifar qui demande aussitôt réparation sur le pré... Cuevas est alors agé de 73 ans, Lifar de 54, et il laisse à son adversaire en raison de son age, le choix des armes: ce sera l'épée.
La date de la rencontre est fixée au 30 Mars, et bretteurs, directeur de combat, témoins et médecins, entourés d'une meute de journalistes, se retrouvent en Normandie à Blaru. Au bout de trois reprises, Lifar est touché, ou plutôt se laisse toucher à l'avant bras, et les béligérants tombent dans les bras l'un de l'autre à l'issue de ce duel d'opérette...

Quelques dix années avant cet évènement très médiatique, la carrière de Serge Lifar avait connu une ecclipse avec, à la Libération, son renvoi de l'Opéra de Paris pour ses activités sous l'Occupation qui le firent accuser (comme son amie Coco Chanel) de collaboration avec l'ennemi, et interdire de scène par le Comité National d'Epuration.
"Lifar au plus haut de son zénith pendant les années noires de l'Occupation a été ébloui par son propre soleil et a bu le poison des louanges et des privilèges offerts par de mauvais prophètes" peut-on lire à son sujet,
"Citoyen défaillant et créateur de génie", ainsi le stigmatisera Jean Cocteau.

Pendant ces années d'"exil" Lifar forme avec quelques danseurs qui lui sont restés fidèles le Nouveau Ballet de Monte Carlo, pour lequel il crée  Aubade (1944), La Péri, ou encore Une Nuit sur le Mont Chauve (1946), et développe son esthétique dite néo-classique où il ajoute deux positions aux cinq existantes et deux arabesques aux quatre préalables. (La 6ème et la 7ème position permettent à la danseuse de plier sur les pointes sans ouvrir les genoux, prolongeant le mouvement et le décalant en déplaçant l'axe du corps).

 
Lifar ne reparut sur la scène de l'Opéra de Paris qu'en 1949, bien qu'il ait retrouvé en 1947 ses fonctions de premier chorégraphe qu'il occupera jusqu'en 1958, créant entre autres Les Mirages (1947, inspiré de la Nuit de Décembre de Musset), Le Chevalier Errant (1950), Phèdre (1950), Blanche Neige (1951), Roméo et Juliette (1955) ou encore La Dame de Pique (1954) dont il a offert la Première à la ville de Lausanne après y avoir fondé l'Académie de Danse.
 
Serge Lifar ne mettra fin à sa carrière de danseur qu'à l'age de 50 ans, après avoir interprété une dernière fois le rôle d'Albrecht avec Yvette Chauviré comme partenaire, et lorsqu'il quitte définitivement l'Opéra de Paris deux ans plus tard, il poursuit son activité chorégraphique jusqu'en 1969 avec le Netherlands Ballet, le London Festival Ballet, ou encore les Grands Ballets du marquis de Cuevas.
 
Chorégraphe, théoricien, auteur prolifique (il a écrit 25 livres dans lesquels il relate sa carrière et ses théories de chorégraphie expérimentale) ou encore conférencier (il introduisit la danse à la Sorbonne en 1947 avec la création de l'Institut Chorégraphique de Paris, renommé en 1957 l'Université de la Danse), Serge Lifar a promu et a contribué à l'épanouissement, à la diffusion et à la modernisation de l'art chorégraphique dans le monde entier.

Décédé le 15 Décembre 1986 à Lausanne où il passa les dernières années de sa vie dans sa suite du Beau Rivage Palace, avec vue sur le Léman, le danseur et chorégraphe russe repose aujourd'hui à Paris au cimetière de Sainte Geneviève des Bois.
Si l'homme a pu connaitre quelques défaillances, celles-ci ne doivent pas jeter le discrédit sur le rôle important qu'il a en même temps joué dans l'histoire du ballet ainsi que celle de l'Opéra de Paris; et encensé par les uns ou vilipendé par les autres, l'artiste mérite amplement la place qu'il s'est acquise au firmament de la danse.

Florent Durth

Après avoir obtenu un diplôme dans le commerce, passionné par le cinéma et l'animation, Florent Durth s’est rapidement orienté vers l’écriture et la réalisation de programmes audiovisuels. Récemment, il a écrit et réalisé la série d’animation ludo-éducative « Simplex », produite par Moonworks et XD Productions. Florent Durth est actuellement en cours de réalisation d’un documentaire produit par French Connection Films intitulé « Serge Lifar » et d’une bande dessinée pour les éditions Michel Lafon.

Ivan Kuzmin

Ivan Kuzmin, 29 ans. Après 5 ans de travail pour plusieurs sociétés de production à Moscou en tant que scénariste et rédacteur, Ivan déménagé à Paris pour faire des études dans une école de cinéma. Il y a appris un métier technique, et, lors de ses 4 années suivantes en France, a fait un grand nombre de films fiction, documentaires, et institutionnels en tant que réalisateur, chef-opérateur, assistant caméra ou monteur. Il est actuellement vidéaste freelance, passionné par la cinéma.

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