J’ai découvert l’Alaska en août 2011, en commençant à tourner un documentaire sur la colonisation de cet Etat par l’empire russe (1732 – 1867), et son héritage chez les natifs d’Alaska. Durant ce premier voyage, j’ai fait la connaissance du peuple Yupik. Aujourd’hui au nombre de 34 000, sur une population totale en Alaska de 730 000 personnes, ils habitent là depuis des milliers d’années. La moitié à peine parle encore leur langue ancestrale. Durant ce voyage, j’ai découvert leur rapport intime à l’environnement : ils vivent encore au rythme de la nature. Selon la saison, ils chassent, pêchent, cueillent des baies.

Je suis allé en Alaska à di érentes saisons et au fil du temps j’ai perçu chez les Yupiks une réelle inquiétude face au changement climatique qu’ils éprouvent pour l’instant de manière plus visible que nous. J’ai ainsi eu l’idée d’un documentaire sur la façon dont les Yupiks vivent le changement climatique, eux qui ont une relation si importante à la nature.

J’ai également découvert que l’un des fondements de la culture Yupik est la transmission de la sagesse par les anciens aux jeunes. « Si tu aimes tes enfants, parle-leur. » C’est ce que m’a dit un jeune prêtre orthodoxe lors de mon premier voyage là-bas. Dans le petit village de Kwethluk, un ancien m’a également raconté que lorsqu’il était jeune, un de ses aïeux lui avait dit : « Quand tu seras grand, les hivers seront plus chauds. Quand le monde changera, le temps changera aussi, ainsi que les gens. » Le temps a passé, et la prophétie semble se réaliser. Comment les Yupiks savaient-ils que cela serait leur destin ? Comment peuvent-ils maintenir leur culture dans une situation aussi dramatique ? Et nous, quelles leçons pouvons-nous en tirer ?

Ce questionnement est à l’origine du projet « La Prophétie ». Au fil d’une dramaturgie construite autour de la prédiction des anciens, je veux montrer un peuple chaleureux et attachant qui a un lien fort avec sa terre et une spiritualité unique empreinte d’une tradition très ancienne. Dans ces paysages arctiques immenses, sillonnés par les fleuves encore gelés en hiver, des changements liés au réchau ement climatique interviennent et semblent venir concrétiser cette ancienne prophétie. Quels sont ces changements ?

Comment bouleversent-ils aujourd’hui la vie de ce peuple, menaçant sa culture ?

Au-delà de l’exode vers les grandes villes et du destin des premiers réfugiés climatiques d’Alaska, je veux montrer l’enjeu que constitue la transmission de la culture auprès des jeunes. Le temps des Esquimaux nomades chasseurs-cueilleurs est révolu, mais les Yupiks cherchent à perpétuer leurs liens ancestraux avec la nature d’où ils tirent encore des moyens de subsistance. Ils nous rappellent à quel point nous sommes dépendants de la nature et posent la question de notre avenir commun face au réchau ement climatique.

Cette question universelle m’a amené à collaborer sur le projet avec la cinéaste Paloma Veinstein. L’écriture du scénario est l’aboutissement de notre réflexion commune : notre intention est de proposer une dramaturgie qui fasse ressortir ces enjeux sans misérabilisme et qui s’enrichisse de la force spirituelle que les Yupiks puisent dans la nature.

Dmitry Trakovsky