Benjamin Britten / Billy Budd

Teatro Real Madrid ClassicAll 22

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Benjamin Britten: Billy Budd op. 50
Livret d'E.M Forster et Eric Crozier
D'après la nouvelle de Herman Melville :Billy Budd, Sailor. An Inside narrative.
Version en quatre actes créée le 1er décembre 1951
Version (définitive) en deux actes créée le 9 janvier 1964

Mise en scène: Deborah Warner
Scénographie: Michael Levine
Costumes: Chloé Obolensky
Lumières: Jean Kalman
Chorégraphie: Kim Brandstrup

Billy Budd: Jacques Imbrailo
Edward Fairfax Vere: Toby Spence
John Claggart: Brindley Sherratt
Mr. Redburn: Thomas Oliemans
Mr. Flint: David Soar
Lieutenant Ratcliffe: Torben Jürgens
Red Whiskers: Christopher Gillet
Donald: Duncan Rock
Dansker: Clive Bayley
Un novice: Sam Furness
Squeak: Francisco Vas
Bosun: Manel Esteve
First Mate: Gerardo Bullón
Second Mate: Tomeu Bibiloni
L’ami du novice: Borja Quiza
La vigie: Jordi Casanova
Arthur Jones: Isaac Galán

Pequeños Cantores de la Comunidad de Madrid (direction Ana González)
Chœur du Teatro Real (direction Andrés Máspero

Orchestre du Teatro Real
Direction musicale: Ivor Bolton

 

Lorsque l’on embauche pour Billy Budd la fine fleur du chant anglais, une metteuse en scène capable du meilleur et un chef maître de ce répertoire, toutes les conditions sont réunies pour obtenir un résultat mémorable. Promesse tenue, et il n’y maintenant plus qu’à brûler des cierges pour que la distribution soit aussi brillante en 2018-19 à l’Opéra de Paris, coproducteur du spectacle madrilène avec Helsinki et Rome. Ce chef-d’œuvre de Britten – au même niveau que Peter Grimes, qu’on désespère de revoir un jour à Bastille – bénéficiera donc d’une nouvelle lecture parisienne, après avoir été révélé dans la production plus traditionnelle montée à Genève d’abord par Francesca Zambello (et vue quatre fois entre 1996 et 2010). Deborah Warner, qui nous avait éblouis avec son Didon et Enée Salle Favart, propose une vision de Billy Budd qui ne cherche pas à lutter avec des films comme Master and Commander : c’est par des moyens purement théâtraux qu’elle recrée l’atmosphère d’un navire de guerre britannique, aidée par le stupéfiant décor de Michael Levine, à la fois sobre et grandiose, tout en câbles, en ponts, en voiles et en cabestans. Sous les éclairages superbes de Jean Kalman, elle recrée une atmosphère maritime totalement crédible sans jamais se limiter à un réalisme plat. Les costumes de Chloé Obolensky situent l’action de nos jours, avec uniformes actuels de la Royal Navy pour les officiers, et tenues de travail allant du bleu foncé au noir en passant par le gris pour les marins. Lecture parfaitement claire même si elle n’a rien de platement illustratif, qui montre bien les rapports de force entre les différents groupes et individus, avec un jeu d’acteur admirablement réglé mais sans manichéisme. Bonne nouvelle : ce spectacle, appelé à devenir un classique, a d’ores-et-déjà été filmé en vue de sa commercialisation en DVD.

Ivor Bolton, qu’on a l’habitude d’entendre diriger Haendel et Mozart, est ici comme un poisson dans l’eau, et se révèle un excellent chef britténien. La partition vit ici avec un rare mordant, dans les appels des vents évoquant le grand large comme dans la douceur des bois dans les moments plus intimes. Bravo à l’orchestre du Teatro Real, et surtout à son irréprochable chœur qui se plie avec un naturel confondant aux instructions de Deborah Warner. On applaudira aussi au passage les quatre enfants issus des Pequeños Cantores de la Comunidad de Madrid, qui chantent juste et dans un anglais impeccable.

Les personnages secondaires sont confiés à une demi-douzaine d’artistes espagnols, comme le Squeak de Francisco Vas, grand habitué des rôles de caractère, ou le Bosco de Manel Esteve. Les autres solistes sont britanniques, à deux exceptions près : le lieutenant Ratcliffe de Torben Jürgens, et surtout le Redburn bonhomme de l’excellent baryton néerlandais Thomas Oliemans. Tous les autres forment un impressionnant résumé de quelques générations de l’école de chant anglaise. Parmi les doyens, le Dansker de Clive Bayley, superbe basse en pleine possession de ses moyens, pour un rôle qu’on aurait tort de confier à un chanteur à bout de course, ou le cocasse Red Whiskers de Christopher Gillet. Sam Furness campe un émouvant novice, tandis que Duncan Rock est un luxe en Donald. Belle découverte avec le Flint de David Soar, très prometteuse basse. Et l’on en arrive enfin au trio sur lequel repose l’œuvre. S’il nous semblait manquer un peu de fiel en Peter Quint dans Le Tour d’écrou, Toby Spence est un capitaine Vere idéal : certes beaucoup plus jeune que de coutume – ce qui rend moins littéral sa déclaration du prologue, « I am an old man », à moins que le vieillard qui tient une Bible, à côté de lui, soit en fait son double – il compose un intellectuel rêveur tout à fait conforme aux indications du livret, et la beauté de son timbre nous éloigne résolument de la tradition inaugurée  par Peter Pears. Brindley Sherratt est lui aussi idéal en Claggart, mais par la noirceur admirable du timbre, à laquelle il joint un jeu nuancé qui nous épargne les méchants de mélodrame. Jacques Imbrailo est aujourd’hui l’un des grands titulaires du rôle-titre, et ce n’est que justice : physiquement et vocalement, il est Billy Budd, capable de chanter tout en grimpant à la corde, de faire de son bégaiement un handicap poignant, et surtout d’interpréter des adieux à la vie pleins d’une amère douceur.

Cette production s’impose donc une référence. Faire mieux sera désormais difficile ; faire aussi bien sera déjà un défi.

 

Argument

Prologue

Le capitaine Edward Fairfax Vere dresse le bilan de sa vie passée au service de son Roi et de sa Patrie et conclut à la nature foncièrement maligne de l'Homme, le Mal laissant son empreinte au coeur même de la Bonté. Il s'interroge aussi sur son rôle lors d'incidents survenus en 1797, pendant les guerres napoléoniennes, à bord de l'Indomptable.

Acte I

Scène 1

Rudoyé par les Officiers, l'équipage s'efforce de briquer le pont du navire. Mais le Novice, trop concentré sur son labeur, multiplie les maladresses en bousculant le maître d'équipage, puis en trébuchant et tombant. La sanction est implacable : ce sera vingt coups de fouet. Trois marins du "Rights o' Man" (le "Droits de l'Homme"), un bateau de commerce, embarquent à bord du navire de guerre. Interrogés sans ménagement par le maître d'armes, ces civils enrôlés de force n'inspirent que du mépris aux Officiers. Par contre, un jeune et fort gaillard, enjoué et d'une extraordinaire beauté, les ravit à l'unanimité, en dépit d'une menue imperfection : sous le coup d'une émotion trop vive, Billy Budd se met à bégayer. Toutefois, ils se rembrunissent lorsque le Beau Marin se tourne vers ses compagnons et lance un vibrant adieu au "Droits de l'Homme". Ces mots honnis lui valent la défiance des Officiers qui demandent au maître d'armes de le surveiller de près. Claggart confie la mission à son bras droit, le caporal Squeak, chargé de filer le nouveau gabier de misaine et de le mettre à l'épreuve.

Le Novice réapparaît, brisé et honteux. Quelques hommes tentent de le réconforter, mais des marins plus aguerris, Donald et Dansker, expliquent aux nouveaux venus que tout le monde finit par y passer un jour. Sur ces entrefaites, Claggart s'approche, apostrophe Billy et rectifie sa tenue en le sermonnant doucement. Alors qu'il se retire, les vieux loups de mer recommandent à tous la plus grande méfiance à son égard, puis chantent l'éloge du valeureux et brillant capitaine. Billy s'enflamme pour ce Starry Vere ( "Vere étoilé") et lui jure fidélité jusque dans la mort.

Scène 2

[ Une semaine plus tard, le soir.] Le Capitaine boit un verre dans sa cabine avec deux de ses officiers. Les côtes du Finistère seront bientôt en vue et la confrontation est imminente. Les hommes se défoulent dans un couplet hostile aux Français tandis que le Capitaine évoque le danger, tabou, de la mutinerie. L'Officier de manoeuvre livre ses soupçons à l'égard de Billy, mais le capitaine le rassure, arguant de sa fougue juvénile, et rappelle que seule la félicité des hommes peut éloigner le spectre de la sédition.

Scène 3

Les matelots entonnent en canon une vieille chanson de marin et Billy se joint à eux. Mais Dansker se tient à l'écart. "Bébé Budd " l'interroge et s'en va lui chercher "le seul plaisir qui lui reste" : une chique. Il tombe sur le caporal d'armes, occuper à fouiner dans ses affaires et une violente bagarre éclate. "Beauté" a tôt fait de le mettre à terre quand surgit Claggart. Il fait emmener le scélérat avant qu'il n'ait le temps de le trahir, complimente Billy et envoie les hommes se coucher. Seul en scène, le maître d'armes révèle le trouble extrême que Billy a jeté dans sa vie, mais l'écarte avec une rare violence ( "La haine et l'envie me rendent plus fort que l'amour" ), se promettant de détruire, corps et âme, le Beau Marin. Il envoie le Novice corrompre Billy avec de l'or. Émergeant d'un cauchemar où il se voit au fond de l'océan, Billy tarde à comprendre ce que lui veut le garçon. Quand il réalise ce qui lui est demandé, il se met à bégayer, serre ses poings de rage et le Novice s'enfuit, épouvanté. Réveillé par le bruit, Dansker vient aux nouvelles et tente de convaincre un Billy toujours incrédule, de la malveillance du maître d'armes.

Acte II

Scène 1

Contemplant la brume, le capitaine Vere exprime le souhait que l'action commence enfin. Claggart vient pour l'entretenir d'un danger qui menace le navire, mais il est interrompu par le cri de la grand-hune qui vient de repérer un navire battant pavillon français. Les matelots se précipitent à leur poste, Billy accompagne les volontaires pour l'abordage "dans la fumée " et la poursuite s'engage. Pressés d'en découdre, les hommes trépignent d'impatience. Un premier tir de canon retentit, mais en vain : le vent tombe et la brume se reforme, favorable au vaisseau ennemi. L'équipage renonce au combat, la mort dans l'âme. Une chape de plomb tombe sur le navire. Claggart interpelle à nouveau le Capitaine, agacé, et accuse Billy de fomenter une mutinerie. Sceptique et cassant, Vere le met en garde contre les faux témoignages, met en doute les preuves avancées par le maître d'armes et fait appeler Billy. Le délateur se retire.

Scène 2

Vere reconnaît en Claggart l'incarnation du mal et il est bien déterminé à ne pas se laisser abuser. Billy arrive, jovial, croyant qu'une promotion va lui être annoncée. Mais Claggart les rejoint et martèle à quatre reprises son accusation, ne quittant pas le jeune marin des yeux. Bredouillant et incapable d'articuler le début d'une réponse, Billy bondit comme un fauve et lui décoche un formidable coup de poing. Frappé en plein front, celui qui avait juré sa perte s'effondre, sous le regard atterré du capitaine (" L'ange de Dieu a frappé, et l'ange doit être pendu"). Il sait qu'il va devoir lui-même répondre de ses actes...

Il convoque les officiers, partagés entre la colère et la compassion pour Billy, et met sur pied un tribunal. Billy clame sa loyauté et dénonce un mensonge, mais il est incapable de l'expliquer. Il implore, à trois reprises, l'aide du Capitaine, mais en vain ; ce dernier refuse également d'aider les juges, dépassés par la situation. Le verdict tombe et Vere l'accepte, pourtant conscient de son iniquité.

Scène 3

Attendant son exécution, Billy chante une balade à la fois sinistre et poignante. Dansker lui apporte son dernier repas et lui raconte que des matelots veulent empêcher son exécution. Résigné et serein, Billy rejette cette perspective. Il promet de veiller sur le capitaine et songe à cet espoir entrevu au loin, "cette voile qui brille là-bas et qui n'est pas la Fatalité."

Scène 4

Tout le monde assiste en silence aux derniers instants de Billy. Avant d'être hissé en haut de la grande vergue, il bénit le capitaine et les hommes répètent cette parole rédemptrice. Cependant, le dernier souffle du Beau Marin est suivi d'une rumeur grandissante où point la révolte, mais le pont est évacué. Tandis que les hommes obéissent lentement aux ordres et commencent à se disperser, la lumière décroît progressivement.

Épilogue

La scène s'illumine graduellement et révèle le capitaine Vere, âgé, comme dans le Prologue. Hanté par le souvenir de Billy, il se dit qu'il aurait pu le sauver, mais les dernières paroles du jeune homme lui ont apporté la paix et perçoit, lui aussi, "la voile qui brille tout là-bas."


Commande du Festival of Britain, Billy Budd est né de la rencontre, finalement assez rare dans l'opéra, entre un grand écrivain (à l'automne de sa carrière) et un brillant jeune compositeur (au seuil de la maturité) : Edgard Morgan Forster (1879-1970), essayiste et romancier à succès (La Route des Indes, Chambre avec vue, Howard's End, Avec vue sur l'Arno, Maurice...) et Benjamin Britten (1913-1976), dont le premier chef-d'oeuvre lyrique (Peter Grimes) venait de consacrer la renaissance de l'opéra en Angleterre. A partir d'une nouvelle posthume de l'auteur de Moby Dick et avec l'aide d'Éric Crozier (1914-1994), déjà librettiste d'Albert Herring et de Let's Make an Opera, Forster a tiré un drame violent, obscur et fascinant. Pourquoi John Claggart veut-il détruire Billy Budd ? Pourquoi le capitaine Vere ne le sauve-t-il pas ? Ces deux questions, atroces, mais passionnantes, taraudent le spectateur qui ne peut sortir indemne d'une représentation de Billy Budd. Il sent, même confusément, que cet opéra met en scène beaucoup plus qu'une allégorie de la destruction mutuelle du Bien et du Mal. Britten est désormais en pleine possession de ses moyens : il parvient à traduire les affects les plus rares, distille l'angoisse, joue avec nos nerfs et réussit même à suggérer l'indicible (le désir refoulé). Son langage musical est mûr pour affronter d'autres défis : l'équivoque géniale du Turn of the Screw, les atmosphères subtilisées et délétères de Death in Venice.
 

Le chant du cygne de Melville

Billy Budd, An Inside Narrative [Un récit intérieur], est dédié à Jack Chase, un matelot avec lequel Melville (1819-1891) s'était lié d'amitié lorsqu'ils servaient à bord du United States entre Honolulu et Boston, d'août 1843 à octobre 1844. Melville a pu trouver en lui le prototype de Billy : il était beau et populaire parmi l'équipage, mais présentait lui aussi un défaut physique (un doigt coupé). En outre, cette traversée avec Chase devait fournir à Melville la matière de White-Jacket, or The World in a Man-of-War (1850). Ce roman regorge d'indications précieuses sur le microcosme naval et aborde déjà des problématiques chères à l'écrivain qui réapparaîtront dans Billy Budd : les punitions corporelles (le fouet), les conflits avec les officiers, la loi martiale, l'enrôlement forcé de civils, les Droits de l'Homme, l'homosexualité ou encore l'irruption déplacée de la religion (l'aumônier) dans un contexte exclusivement militaire. En outre, il offre une ébauche de Claggart en la personne d'un maître d'armes malveillant (Blant). En fait, c'est là une figure récurrente chez Melville : Jackson focalise sa haine sur le jeune Redburn dans le roman éponyme et, bien sûr, dans Moby Dick, l'horrible Radney envie férocement le beau Steelkit.

Cependant, il faut attendre 1886 pour découvrir l'embryon de ce qui allait devenir l'ultime chef-d'oeuvre du romancier. Cela fait alors près de trente ans que l'auteur de Moby Dick a renoncé à une carrière littéraire, incompris et boudé par le public comme par la critique. Or, cette année-là, un héritage le libère d'un insipide gagne-pain à la Douane du Port de New-York. Melville décide alors de reprendre quelques poèmes inachevés, dont un feuillet de quatre pages où figure la première version de la "Balade de Billy aux fers" qui servira de point d'orgue à la nouvelle. Un bref commentaire en prose la présente comme le monologue d'un marin "condamné sommairement, en mer, à être pendu pour avoir été le meneur d'une mutinerie naissante dont on redoutait qu'elle ne s'étendît."

Cette ébauche mentionne la petite amie de Billy : Bristol Molly, ce qui incita Antonio Ghedini (1892-1965) à créer un rôle féminin dans l'opéra en un acte qu'il tira de la nouvelle de Melville. En fait, nous trouvons également une référence à Bristol Molly dans une des premières esquisses du livret de Forster et Crozier, datée de mars 1949. Pour la petite histoire, il faut savoir que Britten a rencontré Ghedini lors d'un voyage en Italie, sans doute en 1949 (la version italienne de Billy Budd fut créée à la Fenice en septembre 1949). En apprenant qu'il s'était fait doubler, Britten aurait été tellement décontenancé, qu'il n'aurait soufflé mot de son propre opéra ! Eric Crozier se procura un exemplaire du livret confectionné par Salvatore Quasimodo. Outre un rôle parlé qui remplit la même fonction que celle dévolue au choeur dans le théâtre grec (raconter et décrire les grandes lignes de l'histoire), la distribution comprend huit rôles principaux. Billy est chanté par un baryton, comme chez Britten, mais c'est une basse qui interprète le rôle de Vere, alors que Claggart est confié à un ténor. Bien que Forster ait trouvé l'idée excellente, les librettistes ont finalement renoncé à évoquer Molly Bristol, ce qui se justifie pleinement d'un point de vue dramatique : d'une part, l'absence de toute référence féminine consacre le climat ambigu et homo sensuel (déjà favorisé par la promiscuité masculine) dans lequel évolue l'opéra ; d'autre part, elle permet de croire à la virginité de Billy, virginité qui fait du jeune homme la parfaite incarnation de l'innocence.

En 1888, Melville décide d'intégrer la balade de Billy à un récit en prose qui contient, pour l'essentiel, le canevas de sa nouvelle : le mutin s'est métamorphosé en Beau marin, jeune et innocent et Melville lui a déniché son exact contraire, le noir et maléfique Claggart. Ce n'est que dans une troisième phase d'écriture, que le Narrateur pénétrera la conscience du maître d'armes et surtout que le Capitaine Vere prendra un relief nouveau en devenant, grâce à la cour martiale et à l'exécution de Billy, la figure centrale du drame. "Commencé le Vendredi 16 Novembre 1888. Fin du livre : 19 avril 1891" note Melville. C'est sans compter les ratures, notes, ajouts, collages, gribouillis abscons et variantes indécidables qui envahiront bientôt le manuscrit au point de décourager la veuve de l'écrivain. Billy Budd sommeillera vingt huit ans dans une vieille malle avec d'autres textes "inachevés". C'est sa petite fille qui le redécouvrira dans les années 20 et en confiera l'édition à Raymond Weaver, brillant défenseur de l'oeuvre de Melville.

Comme souvent chez Melville, les noms des protagonistes sont porteurs de sèmes et de connotations directement liés à leur personnalité. Dans l'anglais des USA, "budd" est un mot du langage familier utilisé pour apostropher un homme ou un garçon. En fait, c'est l'apocope de "buddy", altération de "brother" employée pour parler d'un petit garçon et, par extension, d'un copain, d'un "pote". Par ailleurs, le terme "budd" désigne également le bourgeon et le phénomène du bourgeonnement, mais aussi une chose ou un être immature. En outre, "budd" est le nom courant par lequel les Celtes s'adressent à l'équivalent du dieu Apollon. Les termes qui composent le patronyme du capitaine semblent, quant à eux, marqués au coin de l'ironie. "Vere" est un jeu de mot sur "vir" et "veritas", alors que "Fairfax" peut se lire comme un mot-valise de "fair facts", des faits honnêtes, justes. Par ailleurs, "starry", signifie, au sens propre, "étoilé", en parlant d'un ciel bien sûr, et "starry- eyed" veut dire idéaliste, innocent ou éberlué... Enfin, "claggart" est une invention de Melville issue du verbe désuet "to clag", qui signifie rester collé à un objet (concret ou abstrait) sans le quitter, de manière malsaine. Comment le maître d'armes pourrait-il être désigné, sinon par son obsession pour le Beau Marin ?

Les librettistes n'ont pas seulement condensé le drame et supprimé des passages dépourvus d'intérêt dramatique et impossibles à transposer à la scène (digressions politico-militaires, analyses psychologiques...), ils se sont livrés à un véritable travail de réécriture. Prenons, par exemple, l'épisode où Billy surprend Squeak fouinant dans ses affaires : cette invention de Forster et Crozier remplit exactement la même fonction que la correction que Billy donne au teigneux Red-Whiskers sur son premier navire, le "Droits de L'Homme" (V. Au commencent, la Beauté), il s'agit de nous préparer à l'idée que le jeune homme peut utiliser sa force, impressionnante, contre les hommes, mais pour se défendre et laver son honneur. Deux autres incidents, brièvement évoqués dans la nouvelle, sont amplifiés et dramatisés par les librettistes. Chez Melville, la flagellation du Novice horrifie Billy et l'incite à avoir un comportement irréprochable ; elle devient le seul événement dramatique du début de l'opéra. Sans cet événement et l'extraordinaire choeur des Matelots où germe le motif de la révolte ("O heave ! O heave away, heave ! heave !", poignant et en même temps menaçant), la première scène de l'opéra, qui fait plus de trente minutes, s'enliserait dangereusement et pourrait émousser l'intérêt de l'auditeur. D'un point de vue purement dramatique, cette scène illustre le sort cruel qui accable les hommes d'équipage et met en place l'atmosphère pesante et tendue de l'opéra. A et égard, la bataille avortée rompt avec cette ambiance sinistre et introduit un climax propice à nous révéler la frustration des marins.

Forster et Britten considèrent le Capitaine comme le seul véritable acteur du drame. Le prologue et l'épilogue confirment évidemment sa position centrale : tout l'opéra procède de ses souvenirs. Mais cet immense flash-back n'est-t-il pas biaisé par la conscience du Capitaine ? Ne s'agit-il pas d'une reconstitution, forcément subjective ? Face à un film ou un roman, la question ne manquerait d'être soulevée, or elle ne l'a pas été, à ma connaissance, par les commentateurs de l'opéra. Peut-être parce que ses implications donnent le vertige alors que l'oeuvre génère déjà son lot de mystères et de questions insolubles. Quoi qu'il en soit, les changements les plus importants affectent essentiellement son profil et, dans une moindre mesure, celui de Claggart. Quant à Billy, il faut savoir dépasser l'éblouissement des apparences pour en découvrir la richesse...

Teatro Real Madrid

Le Teatro Real (siège de l'opéra de Madrid), projet de l'architecte de la ville Antonio López Aguado sous le règne d'Isabelle II, est inauguré en 1850. Situé à proximité de Sol, en 1977 le bâtiment est classé monument national et, au fil des ans, on envisage la possibilité de redonner au théâtre son activité d'origine. Ainsi, en 1997, il redevient la scène madrilène des spectacles de bel canto.

Les années fastes de l'opéra (marquées notamment par la visite en 1863 de Verdi venu y présenter son dernier opéra La forza del destino), de son inauguration en 1850 jusqu'en 1925, prennent fin lorsque le théâtre doit fermer ses portes à cause de dégâts occasionnés au bâtiment par le percement du métro de Madrid.

Rouvert en 1966 comme lieu de concert et d'événements musicaux, il accueille dans ses murs le Concours Eurovision de la chanson 1969. Des travaux de rénovation entrepris au milieu des années 1990 lui ont permis de renouer avec sa vocation de salle d'opéra. Depuis 1997, le Teatro Real a retrouvé son lustre d'antan et la réputation d'excellence qui était la sienne au XIXe siècle. L'orchestre dans la fosse est l'Orchestre symphonique de Madrid.

Après une proposition faite en 2008, la direction artistique a été confiée à Gerard Mortier qui entre en fonction à partir de 2010 pour cinq saisons.

En ce qui concerne le bâtiment, c'est un mélange d'architecture dont la scène est le véritable joyau, avec ses 1 472 mètres carrés. Elle permet des changements de décors complexes grâce à ses 18 plateformes articulées qui offrent de multiples combinaisons pour la scène et la fosse de l'orchestre. Le théâtre dispose d'une capacité d'entre 1 748 et 1 854 places en fonction des besoins du montage, distribuées sur 28 loges à plusieurs étages, ainsi que huit proscenium et la Loge Royale, deux fois plus haute.

Le seul étage exclusivement consacré au public s'appelle « La Rotonda » et fait le tour complet du bâtiment.  On y trouve quatre grands salons décorés dans différents tons avec des objets du patrimoine national et du musée du Prado.  De même, les lampes ont été fabriquées spécialement pour le théâtre à la Fábrica Real de La Granja.

  • Plaza Isabel II, s/n, 28013 Madrid, Espagne
  • web

Ivor Bolton

Ivor Bolton est chef d'orchestre permanent du Basel Sinfonieorchester, directeur artistique du Teatro Real de Madrid et chef d'orchestre invité du Mozarteumorchester Salzburg, avec lequel il apparaît chaque année au Salzburger Festspiele et en tournée (y compris les BBC Proms à Londres en 2006), et avec lequel il a déjà bâti une discographie comprenant des enregistrements musicologiques des symphonies de Bruckner. Au Royaume-Uni, il a été directeur musical de l’English National Opera en tournée, du Festival de Glyndebourne en tournée et directeur du Scottish Chamber Orchestra. Il entretient une relation étroite avec le Bayerische Staatsoper où, depuis 1994, il a dirigé de nombreuses productions, notamment Monteverdi, Handel et Mozart. Il a reçu le prestigieux Bayerische Theaterpreis pour son travail remarquable à Munich. Il a été invité régulier au Maggio Musicale Fiorentino et à l'Opéra National de Paris et a dirigé au Covent Garden, ENO, Bologne, Bruxelles, Amsterdam, Lisbonne, Sydney, Berlin, Hambourg et Genève. Il a donné des concerts aux Proms, au Lincoln Center New York, à la Zürich Tonhalle, au Concertgebouworkest, à l'Orchestre de Paris, au Rotterdams Philharmonisch Orkest, au Gürzenich Orchester Köln, au Wiener Symphoniker et au Freiburger Barockorchester. Ses nombreux enregistrements, à l'exception de ceux avec le Mozarteumorchester, incluent Poppea de Monteverdi et Xerces de Handel et Ariodante avec le Staatsoper de Münich.

Pour la saison 2016-2017, citons les nouvelles productions de Nozze di Figaro de Mozart et Jephta de Händel à l'Opéra des Pays-Bas, Don Giovanni de Mozart au Teater an der Wien, Billy Budd de Britten, puis Rodelinda et Le Cog d’Or au Teatro Real Madrid. Ivor retournera également au Bayerische Staatsoper avec le Cosi fan tutte de Mozart , Oberon, et des concerts avec le Basel Sinfonieorchester, Mozarteumorchester Salzburg et au Dresdner Musikfestspiele.

Deborah Warner

En plus de son travail très apprécié au théâtre, à la télévision et au cinéma, Deborah Warner a mis en scène The Turn of the Screw de Britten pour le Royal Opera (au Barbican, lauréat des Evening Standard et South Bank Awards). Elle a dirigé Wozzeck et La Voix Humaine pour Opera North et Don Giovanni et Fidelio pour Glyndebourne. Pour l’Opéra national anglais, elle a mis en scène Death in Venice de Britten (également pour La Monnaie et La Scala, Milan), La Passion selon Saint-Jean de Bach, le Journal d'un Disparu de Janacek, le Messie de Haendel (également pour l’Opéra National de Lyon) et Eugène Onegin. Pour le Festival de Vienne, elle a mis en scène Dido et Aeneas (également pour l'Opéra Comique, Paris et l'Opéra des Pays-Bas) et La Traviata.

Elle a ouvert la saison 2014/2015 à La Scala avec une nouvelle production de Fidelio et, au printemps 2015, a mis en scène Between Worlds, une première mondiale de Tansy Davies pour l'English National Opera. Au cours de la saison 2016/2017, Deborah a mis en scène une nouvelle production de The Tempest au Festival de Salzbourg, Billy Budd pour le Teatro Real de Madrid et King Lear, avec Glenda Jackson au Old Vic. En 2017/18, on a assisté à la reprise de la production de Billy Budd à l’Opéra di Roma et de Fidelio à La Scala. Parmi les productions futures, citons la reprise de Billy Budd pour le Royal Opera House et une nouvelle production de La Traviata pour le Theatre de Champs-Elysées.

  • Metteur en scène
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