
Giuseppe Verdi (1835-1901): Nabucco
Opéra en quatre parties (1842)
Livret de Temistocle Solera
Direction musicale: Roberto Rizzi Brignoli
Mise en scène et vidéo: Marie-Eve Signeyrole
Décors: Fabien Teigné
Costumes: Yashi
Lumières: Philippe Berthomé
Vidéo: Baptiste Klein et Marie-Eve Signeyrole
Dramaturge: Simon Hatab
Chorégraphe: Martin Grandperret
Chef de choeur: Yves Parmentier
Chef de chant: Nicolas Chesneau
Assistant mise en scène: Marc Salmon
Avec
Nabucco: Nikoloz Lagvilava
Abigaille: Mary Elizabeth Williams
Zaccaria: Simon Lim
Ismaele: Robert Watson
Fenena: Victoria Yarovaya
Abdallo: François Rougier
Anna: Jennifer Courcier
Gran Sacerdote: Alessandro Guerzoni
Orchestre National de Lille
Choeurs de l’Opéra de Lille et de l’Opéra de Dijon
Alors que les spectateurs s’installent à leur place, un homme impassible et muet, les mains dans les poches, incarne sur une scène nue la résistance immobile qui avait été initiée en 2013 sur la place Taksim par le chorégraphe stambouliote Erdem Gunduz. À l’époque de la création de Nabucco, il n’est pas sûr que Verdi lui-même ait eu conscience de l’aura révolutionnaire dont son opéra serait porteur et que le célébrissime chœur « Va, pensiero » deviendrait l’hymne du Risorgimento italien. Marie-Ève Signeyrole se défend pourtant de faire ici une transcription contemporaine, même si certaines références explicites (outre celle citée plus haut) aux actuels confits syriens, à la question des migrants en Europe ou aux interrogations sur l’identité de l’actuel ambassadeur de la Palestine à l’UNESCO, ponctuent cette mise en scène riche d’informations et d’idées. La metteuse en scène, assumant ce foisonnement, utilise ces renvois connus de tous comme des ponctuations ou des accroches pour mener à bien un discours particulièrement abondant. C’est aussi cela, la force d’un spectacle : sentir qu’une seule représentation ne suffit pas à comprendre tous les tenants et aboutissants du propos, s’interroger quelques jours après, se remémorer les différents éléments qui composent cette proposition et espérer revoir ce travail pour mieux l’appréhender et découvrir des détails qui nous avaient échappé. Se poser des questions sur cet opéra, pourtant si connu et si représenté, c’est aussi prendre du recul sur notre perception de ces sujets résolument modernes.
Le regard occidental sur des conflits armés à des milliers de kilomètres, la manière dont les médias traitent en live l’actualité en temps réel, la brouillant et la rendant encore plus éloignée de nous, telle une fenêtre tronquée sur un monde déshumanisé et dépossédé de sens, les contradictions et les manipulations d’un pouvoir et d’une représentation politique que les images sont loin de décoder, la folie meurtrière du terrorisme… tel est ici le propos. C’est donc par le biais de l’image, qu’elle soit vidéo de propagande envoyée sur le net et relayée à la télévision, interviews de leaders politiques, caméras de surveillance ou témoignages filmés par des téléphones portables, journal télévisé, que l’essentiel de ce propos se diffuse dans la salle grâce à la précision millimétrique des vidéos de Baptiste Klein et une direction d’acteurs singulièrement minutieuse. Le « D’Egitto là su i lidi » de Zaccaria est déroutant lorsque l’on comprend que les protagonistes s’adresseront plus fréquemment aux caméras qu’à la salle. C’est ensuite pleinement intégré, une fois que l’on s’imprègne de cette mise en scène et de ce que Marie-Ève Signeyrole souhaite y relayer.
Mais cette proposition fonctionne aussi grâce à la qualité du plateau, et cela dès la chorégraphie résolument moderne et symbolique de Martin Grandperret à l’ouverture, à laquelle s’enchaîne la saisissante puissance du premier chœur « Gli arredi festivi giù cadana infranti » portée par les excellents choristes de l’Opéra de Lille et de Dijon qui assument sans failles les nombreux chœurs de l’ouvrage, frénétiques et spectaculaires pour les uns (« Lo vedeste ? Fulminando »), immobiles et recueillis pour les autres (« Va, pensiero », « Immenso Jehovah »). Véritables acteurs de l’action et ayant un beau rôle dans la dramaturgie, ils déploient une présence scénique solide pour soutenir au mieux les émotions véhiculées par les solistes ; ceux-ci composent une distribution cohérente et agréablement homogène, des trois principaux protagonistes (Nabucco, Abigaille et Zaccaria) à l’ensemble des seconds rôles.
Dans le rôle de Zaccaria, Simon Lim répond à cette agitation orageuse par une cantilène ample et noble, et une cabalette d’une sauvage virilité. Même si sa voix manque quelque peu de profondeur, sans être dépourvue d’autorité et d’aura, la basse fait évoluer finement son personnage, tout autant dans sa prière au deuxième acte qu’en prophétisant la chute de Babylone à l’acte III. C’est avec fureur que Mary Elizabeth Williams incarne la fille illégitime du roi de Babylone, Abigaille, rôle réputé meurtrier. De son récitatif aux sauts d’intervalles vertigineux, à sa cantilène aux délicates parures suivie d’une cabalette guerrière, le timbre ferme de la soprano s’impose avec une belle détermination et un charisme affirmé que l’artiste met à profit pour railler ses interlocuteurs lors des nombreux ensembles auxquels elle intervient, et imposer sa suprématie à Babylone comme sur scène. Sur grand écran, la folie de Nabucco brille dans le regard frénétique de Nikoloz Lagvilava et dans la voix ample et affirmée du baryton qui sait agrémenter son incarnation par une vulnérabilité vibrante et expressive dans son ultime prière au « Dieu de Juda ».
Sous la direction de Roberto Rizzi Brignoli, l’Orchestre National de Lille déploie avec brio l’explosion créatrice verdienne dans toute sa diversité et son clinquant (les cuivres) comme dans sa subtilité (les violoncelles), ciselant chaque phrase sans renoncer à marquer les contrastes, tout cela dans une parfaite maîtrise de la temporalité pour instaurer la solennité nécessaire de la partition.

Opéra de Lille
Depuis la réouverture en 2004, à l’issue de la rénovation du bâtiment, qui avait été construit en 1915, l’Opéra de Lille s’est imposé comme une scène lyrique de référence à l’échelle nationale. Établissement public de coopération culturelle (EPCC) soutenu par la Ville de Lille, la Métropole européenne de Lille, la Région Hauts-de-France et le Ministère de la Culture (DRAC Hauts-de-France), il met en œuvre, sous l’impulsion de sa directrice Caroline Sonrier, un projet dont l’ambition première est l’ouverture : ouverture à tous les répertoires, ouverture aux esthétiques actuelles de la création et aux artistes émergents, ouverture à tous les publics, ouverture à l’ensemble des territoires de la région et d’au-delà, etc. De saison en saison, le projet rassemble un public large autour d’une programmation originale et exigeante, ancrant l’opéra, la danse et les messages qu’il porte dans l’imaginaire d’un public toujours plus attentif.
L’Opéra, devenu l’un des emblèmes architecturaux de Lille, a été conçu en 1907, dans un style néoclassique, par l’architecte Louis-Marie Cordonnier (1854-1940), originaire de la région. Inauguré en 1923 et rénové entre 1998 et 2003, il constitue l’un des plus beaux exemples d’opéra à l’italienne du XXème siècle. Tout au long de l’année, l’Opéra de Lille propose une riche programmation d’opéras, de concerts et de spectacles de danse contemporaine accessibles à tous.
Lieu de déambulation, le foyer, éclairé par cinq grandes baies vitrées, s’étend sur toute la largeur du bâtiment. Le public est invité à s’y rendre lors des entractes pour boire un verre. L’ensemble du décor est composé d’un plafond peint intitulé “La Ronde des heures”, de tableaux ovales représentant “La Musique” et ”La Danse” peints par Georges Picard et de groupes sculptés allégoriques (Georges-Armand Verez). Les Concerts du Mercredi à 18h sont organisés chaque semaine dans le Foyer : récital, musique de chambre, musique du monde... 1h de musique pour 10€ !
Il s’agit d’une salle « à l’italienne », caractérisée par sa forme en fer à cheval, où salle et scène se répondent, séparées par une fosse d’orchestre. Composée d’un large parterre, de quatre niveaux de galeries et de loges, sa capacité d’accueil est de 1138 places. Le thème des arts gouverne l’ensemble des décors de la salle comme en témoigne la devise « Ad alta per Artes » (Au sommet par les Arts), inscrite au-dessus du groupe sculpté par Edgar Boutry dominant la scène. La Danse, la Musique,
la Tragédie et la Comédie encadrent une coupole autour de laquelle se trouvent huit peintures en médaillons de Victor Lhomme et George Dilly illustrant les vertus féminines.
Marie-Eve Signeyrole

Pendant ses années lycée, Marie-Ève Signeyrole s’initie à la photographie et au théâtre, puis écrit et met en scène ses premières pièces et comédies musicales jeune public au sein de l’Association musicale Divertimento. Licenciée es Lettres Modernes à la Sorbonne et titulaire d’un Master audiovisuel à l’Institut International de l’Image et du Son, elle conclut ses études par un mémoire sur le travail de Patrice Chéreau : « Opéra et Cinéma, des territoires en circulation » et dessine un parcours à deux voies : la réalisation cinématographique et la mise en scène d’opéra.
Encore étudiante, Marie-Ève est monteuse et assistante réalisation pour Global Event System, UMT Télévision et Telfrance. En 2004, elle participe à la création d’Ellios Production, société de production audiovisuelle, en qualité de directrice artistique et réalisatrice.
En 2009, la jeune réalisatrice réalise son second moyen-métrage "Alice au pays s’émerveille", filmé en Serbie et interprété par Emir Kusturica. Le film est sélectionné et primé dans les festivals internationaux (France, Suisse, Pologne, Roumanie, Allemagne…).
Sa collaboration avec Emir Kusturica a commencé sur Le Temps des gitans en 2007 à l’Opéra Bastille où elle est collaboratrice à la mise en scène et où elle réalise le multi-caméra du spectacle pour France Télévision.
En 2011, elle écrit et réalise les programmes courts « En vert et contre tous » pour Orange Image.
En 2013, elle achève l’écriture de son long-métrage « Vanilla Pudding ».
Marie-Ève Signeyrole commence à travailler à l’Opéra de Paris en 2003 sur les productions de metteurs en scène tels que Willy Decker, Peter Sellars, Laurent Pelly, Christoph Warlikowski… De 2006 À 2012, elle est collaboratrice à la mise en scène de Christoph Marthaler, Stanilas Nordey, Pet Halmen, Gilbert Deflo, Jean-Louis Martinoty, Jean-Claude Auvray, David Mc Vicar…
En mai 2012, elle met en scène La Petite Renarde Rusée de Leos Janacek à l’Opéra national de Montpellier.
En juin 2013, elle participe à l’Académie européenne de musique (ENOA community) en tant que jeune metteur en scène sous la direction de Manfred Trojann au Festival d’Aix en Provence. Elle poursuit cette résidence en juin 2014 pour développer son projet d’écriture d’un opéra contemporain Vanilla Pudding en tant qu’auteur et metteur en scène.
En juillet 2013, elle met en espace et en lumière le concert d’ouverture Mass de Bernstein pour le Festival de Radio France et Montpellier. En janvier 2014, elle met en scène Eugène Onéguine de Tchaïkovski à l’Opéra national de Montpellier. En juin 2014, elle est auteur du spectacle musical 14+18 qu’elle met en scène à l’Opéra National de Paris, pour Dix mois d’école et d’opéra en co-production avec l’Opéra national de Lorraine, l’Opéra national de Montpellier et l’Opéra de Reims.
Durant la saison 14-15, elle met en scène Owen Wingrave de Britten à l’Opéra national de Lorraine en octobre 14 puis en novembre 14, « L’Affaire Tailleferre » : les quatre opéras Bouffes de Germaine Tailleferre à l’Opéra-Théâtre de Limoges.
Puis 2 très beaux projets : la création Mondiale du «Monstre dans le labyrinthe » de Jonathan Dove en juillet 15 au Festival d’Aix-en-Provence puis une résidence en 2016 à l’Opéra national de Montpellier avec le projet d’Il Trittico de Puccini sur 3 saisons.
Roberto Rizzi Brignoli

Roberto Rizzi Brignoli obtient son diplôme de piano au conservatoire Giuseppe Verdi de Milan, où il étudie également la composition et la direction d’orchestre. Il suit ensuite les masterclasses d’Aldo Ciccolini.
Grâce au chef d’orchestre Gianandrea Gavazzeni, il entame une importante collaboration avec le Teatro alla Scala, où il assiste le directeur artistique en tant que responsable du département musical, jusqu’en 2002. C’est à la Scala qu’il rencontre Riccardo Muti, dont il devient l’assistant lors de nombreuses productions lyriques et symphoniques, en particulier des œuvres de Verdi. Sa carrière prend un tournant d’envergure nationale et internationale après avoir dirigé Lucrezia Borgia de Donizetti au Teatro alla Scala lors de la saison 1997-1998.
Depuis, il dirige un grand nombre d’opéras et d’œuvres symphoniques à la tête de l’Orchestre des Arènes de Vérone, l’Orchestre Symphonique du Teatro dell’Opera de Rome, l’Orchestre du Teatro Carlo Felice de Gênes, l’Orchestre des Pomeriggi Musicali à Milan, les Cameristi de la Scala, l’Orchestre Toscanini de Parme, l’Orchestre de la Deutsche Oper de Berlin, le Limburg Symphony Orchestra, l’Orchestre Philharmonique de Tokyo, l’Orchestre de la Radio d’Amsterdam, l’Orchestre National de France, l’Orchestre National de Bordeaux, l’Orchestre de l’Opéra de Lyon...
Il dirige des opéras à la Scala de Milan (Otello, La Traviata, Rigoletto, I due Foscari, L’Elisir d’Amore, Adriana Lecouvreur, La Fille du Régiment), ainsi que dans des lieux tels que l’Opéra de Rome, la Fenice de Venise, le Teatro Comunale de Florence, le Festival Puccini de Torre del Lago, le Teatro Carlo Felice de Gênes, le Teatro Verdi de Trieste, le Rossini Opera Festival de Pesaro, le Sferisterio Opera Festival de Macerata, le Deutsche Oper Berlin, l’Opéra de Francfort, le Semperoper de Dresde, le Teatro Real de Madrid, l’ABAO de Bilbao, la Maestranza de Séville, l’Opéra d’Oviedo, le Festival International de Santander, le Teatro Municipal de Santiago du Chili, le Bolshoï de Moscou, le Théâtre du Capitole de Toulouse, l’Opéra d’Avignon, l’Opéra de Lille, l’Opéra de Marseille, La Monnaie à Bruxelles, le Grand Théâtre de Genève, l’Opéra de Lausanne, le Concertgebouw d’Amsterdam, le Nikikai Tokyo Opera, le Florida Grand Oper...
En 2010, Roberto Rizzi Brignoli fait ses débuts au Metropolitan Opera de New York avec La Bohème. Récemment, il a dirigé Rigoletto au Festival d’Avenches et aux Chorégies d’Orange, Norma, Tosca, Luisa Miller et La Fille du Régiment à Lausanne, Nabucco, Un Ballo in Maschera, Macbeth, Rigoletto, L’Elisir d’Amore, Cavalleria Rusticana / Pagliacci, le Requiem de Verdi, Don Carlo, Lucia di Lammermoor, I due Foscari, La Traviata, Il Trovatore et une nouvelle production de La Rondine au Deutsche Oper Berlin, Macbeth, Lucia di Lammermoor et Il Trovatore à Lille, Manon Lescaut à Muscat, Un Ballo in Maschera à Metz, Il Turco in Italia et Guillaume Tell à Hambourg, Il Trovatore à Luxembourg, Lucia di Lammermoor à Avignon, Anna Bolena, Maria Stuarda et il Barbiere di Siviglia à Marseille, La Fille du Régiment à Toulon, Madama Butterfly à Bruxelles…
Roberto Rizzi Brignoli enregistre pour Sony Classics et Warner Classics. Les productions d’Adriana Lecouvreur du Teatro alla Scala et de La Rondine du Deutsche Oper Berlin sont disponibles en DVD.
Parmi ses projets pour la saison 2018/2019 citons Turandot à Marseille, La Traviata et Il Turco in Italia à Hambourg, Nabucco au Deutsche Oper Berlin et à Dijon, Anna Bolena à Lausanne, Il Trovatore à Mannheim…
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