
Kurt Weill (1900-1950): Street Scene
American opera
sur un livret de Elmer Rice, d'après la pièce éponyme (1929)
Création au Adelphi Theatre de Broadway (New York) le 9 Janvier 1947
Direction musicale: Tim Murray
Mise en scène: John Fulljames
Assistante: Lucy Bradley
Décors et costumes: Dick Bird
Chorégraphie: Arthur Pita
Lumières: James Farncombe
Création Son: Poti Martin
Chef de Chœur: Andrés Máspero
Direction du Chœur d'enfants: Ana González
Abraham Kaplan: Geoffrey Dolton
Greta Fiorentino: Jeni Bern
Carl Olsen: Scott Wilde
Emma Jones: Lucy Schaufer
Olga Olsen : Harriet Williams
Henry Davis: Eric Greene
Anna Maurrant: Patricia Racette
Sam Kaplan: Joel Prieto
Daniel Buchanan: Tyler Clarke
Frank Maurrant: Paulo Szot
George Jones: Gerardo Bullón
Lippo Fiorentino: Michael J. Scott
Jennie Hildebrand: Marta Fontanals-Simmons
Rose Maurrant: Mary Bevan
Harry Easter: Richard Burkhard
Mae West / First Nursemaid: Sarah-Marie Maxwell
Dick McGann: Dominic Lamb
Second Nursemaid: Laurel Dougall
On connaît surtout les compositions de Kurt Weill (1900 – 1950) de sa période allemande, sa collaboration avec Bertolt Brecht qui s’achève avec le ballet chanté Les sept péchés capitaux composé en 1933 avant que Weill n’émigre en 1935 en Amérique. Beaucoup moins connue est sa production américaine foisonnante et prolifique qui a fait sa renommée dans son pays d’adoption et dont fait partie son opéra Street scene. Le livret de Elmer Rice est basé sur sa pièce de théâtre du même nom, créée en 1929, qui fut un succès immédiat et reçut le prix Pulitzer. La pièce dénonce les conditions dans lesquelles survivent les émigrants et les réfugiés à New York dans les années 1920.
Kurt Weill s’enthousiasme pour Street scene, un théâtre qui critique la réalité depuis la perspective des défavorisés sous une forme hyperréaliste, un théâtre dans lequel il se sent dans son élément. Elmer Rice transforme sa pièce en livret d’opéra et en collaboration avec le poète afro-américain, Langston Hugues, écrit les paroles des parties chantées. Street scene, créé en 1947 à Broadway, est un événement à plusieurs titres. L’opéra de Kurt Weill est un ovni. Toute la critique l’a reçu comme un chef-d’œuvre. L’opéra de Kurt Weill reçoit un Tony Award pour la meilleure partition. Mais en même temps on le trouve impossible pour les moyens qu’il exige : 25 personnages, chœur, orchestre important etc. Les spécialistes qui s’accordent sur la génitalité de cette œuvre exceptionnelle sont divisés quant à sa classification : opéra ou théâtre musical ?Kurt Weill, considérant Street scene comme sa meilleure œuvre, affirmait qu’il s’agit bel et bien d’un opéra.
Street scene retourne sur scène après sa mort, en 1955 à Düsseldorf puis en 1959 au New York City Opéra qui le reprend en 1978 et en 1989. En 1989 il est représenté à Glasgow et à Londres et à partir des années 1990 il réapparaît sur les scènes internationales avec plus ou moins de fréquence. Certes, la production de Street scene est extrêmement difficile, la partition exige un orchestre, des solistes mais aussi des choristes rompus à l’hétérogénéité et à la variété stylistique de l’œuvre. Le Teatro Real, en s’associant avec l’Opéra de Monte-Carlo et l’Opéra de Cologne, a osé relever le défi de la nouvelle production de Street scene avec son fantastique orchestre à toute épreuve, sous la baguette de Tim Murray qui nous a déjà ébloui dans Porgy and Bess, il y a deux ans, et des solistes brillantissimes non seulement vocalement mais aussi comme acteurs et danseurs. Street scene se joue à Madrid en deux séries de représentations. Ceux qui n’ont pas trouvé de places entre les 13 et 18 février peuvent encore tenter leur chance entre le 26 mai et le 1er juin 2018.
En arrivant en 1935 en Amérique (année de création de Porgy and Bess de George Gershwin) Kurt Weill plonge dans l’effervescence de la vie musicale new yorkaise, assimilant le background afro-américain de la musique populaire. La pièce de Elmer Rice avec sa thématique sociale, s’offre à lui comme une sorte de prolongement de son travail avec Brecht. On pourrait dire que son opéra Street scene est à mi-chemin entre Porgy and Bess de Gershwin (1935) et West Side Story de Bernstein (1957) autant quant à sa thématique mettant en scène les quartiers pauvres des Noirs et des immigrés que par la musique extrêmement moderne puisant dans les ressources populaires.
L’histoire de Street scene se passe dans un immeuble d’un quartier pauvre, Lower East Side, dans les années 1940, dont la communauté, une mosaïque d’immigrés d’origines et de cultures différentes vit dans la précarité. Le manque de ressources, les expulsions pour loyers impayés, la marginalité, le racisme, l’alcoolisme, la violence, la solitude, l’absence d’avenir pour les jeunes, mais aussi l’amour véritable, le rêve de faire une autre vie, voici de quoi est faite l’existence des protagonistes de l’opéra où sur ce tableau d’ensemble s’articulent plusieurs histoires particulières superposées. Principalement deux : celle du couple Maurrant, Anna femme frustrée d’amour et de tendresse, délaissée par son mari Franck, brutal, alcoolique et réactionnaire qu’elle trompe avec le livreur de lait, et celle de Rose, leur fille, qui, assiégée par les avances du patron de l’agence immobilière où elle travaille et par son voisin voyou, aime, avec réciprocité Sam Kaplan, étudiant de Droit, fils d’une famille juive immigrée. C’est l’été, chaleur étouffante, les habitants de l’immeuble se plaignant des attaques des moustiques. Leur journée s’écoule avec des petits événements quotidiens, des commérages, des tromperies et des commentaires sur les dernières nouvelles : l’expulsion de l’immeuble de la famille Hildebrand qui, abandonnée par le père, ne peut plus payer le loyer. Un drame survient dans cette banalité quotidienne. Surprenant sa femme avec le livreur de lait, Frank tue l’amant et blesse mortellement sa femme qui mourra à l’hôpital.
Contrairement à Porgy and Bess et West Side Story, aucun message positif dans Street scene, rien ne change dans la vie misérable des protagonistes qui continuent à survivre dans l’indifférence générale. L’actualité de ce propos est plus que flagrante aujourd’hui. Il y a une fusion totale entre le drame de la communauté pluriculturelle et la partition de Kurt Weill, un melting-pot de styles, rythmes différents, depuis des références au vérisme et au lyrisme de Puccini, à l’opéra bouffe italienne, ou aux airs romantiques à la Lehár, aux résonances de Gershwin, des comédies musicales de Cole Porter, Irwin Berlin et d’autres, aux blues, jazz, pop rock (dont sans doute Weill est précurseur) et même à une berceuse paraphrasée. Cependant il fusionne tous ces éléments et emprunts musicaux, en apparence disparates, dans une forme homogène. Autant dans le livret de Elmer Rice que dans la musique de Weill il y a la fameuse distanciation, chère au compositeur allemand, qui joue souvent sur les contrastes et les contrepoints. Ainsi par exemple certains moments dramatiques, violents, s’accompagnent-ils d’une musique aux sonorités fines, douces ou allègres. Le comique, l’humour, la parodie, côtoient sans cesse le dramatique et le tragique à l’instar de l’esprit de ce grand pays américain où le beau, le raffiné, le laid et le morbide cohabitent. Lippo Fiorentino, Italien stéréotypé, chante avec emphase l’éloge des glaces italiennes en parodiant un grand chanteur d’opéra bouffe italien.
Les deux nurses chantent aux bébés, sur un air de berceuse, les horreurs qui se passent entre leurs parents. Il y a dans Street scene, comme dans les comédies musicales, beaucoup de parties parlées. On est surpris quand, à un moment, les personnages dansent le rock dans le meilleur style. La flexibilité vocale des chanteurs, à l’aise dans toute la diversité stylistique musicale, est impressionnante. Patricia Racette en Anna, soprano, bien appuyée dans les graves, brillante dans les aigus, est sublime dans son très long aria de 7 minutes du Ier acte, chargé de lyrisme et d’une profonde émotion. Jose Manuel Zapata, Lippo Fiorentino, ténor, dont la voix coule de sources, est un superbe comique un peu dans le style des comédies italiennes. Joël Prieto, ténor profond, voix bien posée, impressionnant dans les aigus, crée un Sam Kaplan humble, introverti et Paulo Szot, baryton, fait un Frank Maurrant violent, incapable d’affronter ses contradictions. Je relève surtout Mary Bevan, soprano pur, envoûtant, qui interprète Rose en lui conférant une complexité émotionnelle, magnifique dans ses duos avec Sam.
La mise en scène de John Fulljames se concentrant sur le drame des personnages, qui va à l’essentiel sans chercher des effets inutiles, hyperréaliste, sans un sentimentalisme misérabiliste. Elle s’inscrit dans un dispositif scénique extrêmement efficace ( décor Dick Bird): une construction métallique de quatre étages avec des escaliers intérieurs et des plates-formes correspondant aux appartements des protagonistes. À droite du plateau un réverbère, à gauche une borne d’incendie, des poubelles avec des déchets autour. Cette construction s’ouvre à un moment, en faisant apparaître, au fond les lumières de New York avec ses gratte-ciels. Peu d’éléments scéniques : un vélo et quelques objets utilisés par les personnages. Costumes des années 1940 évoquant par quelques traits les origines des personnages.
Avec un remarquable sens de l’espace John Fulljames distribue les situations, des séquences dansées (chorégraphie Arthur Pita)à divers niveaux dans le dispositif scénique, en relevant les histoires particulières dans ce tableau d’un microcosme humain avec ses peines, ses préoccupations, ses drames et ses petites joies quotidiennes.
De fait, l’opéra de Kurt Weill, considéré comme un défi à la scène, trouve dans cette production un accomplissement qui réunit l’intelligence et l’excellence.

Teatro Real Madrid
Le Teatro Real (siège de l'opéra de Madrid), projet de l'architecte de la ville Antonio López Aguado sous le règne d'Isabelle II, est inauguré en 1850. Situé à proximité de Sol, en 1977 le bâtiment est classé monument national et, au fil des ans, on envisage la possibilité de redonner au théâtre son activité d'origine. Ainsi, en 1997, il redevient la scène madrilène des spectacles de bel canto.
Les années fastes de l'opéra (marquées notamment par la visite en 1863 de Verdi venu y présenter son dernier opéra La forza del destino), de son inauguration en 1850 jusqu'en 1925, prennent fin lorsque le théâtre doit fermer ses portes à cause de dégâts occasionnés au bâtiment par le percement du métro de Madrid.
Rouvert en 1966 comme lieu de concert et d'événements musicaux, il accueille dans ses murs le Concours Eurovision de la chanson 1969. Des travaux de rénovation entrepris au milieu des années 1990 lui ont permis de renouer avec sa vocation de salle d'opéra. Depuis 1997, le Teatro Real a retrouvé son lustre d'antan et la réputation d'excellence qui était la sienne au XIXe siècle. L'orchestre dans la fosse est l'Orchestre symphonique de Madrid.
Après une proposition faite en 2008, la direction artistique a été confiée à Gerard Mortier qui entre en fonction à partir de 2010 pour cinq saisons.
En ce qui concerne le bâtiment, c'est un mélange d'architecture dont la scène est le véritable joyau, avec ses 1 472 mètres carrés. Elle permet des changements de décors complexes grâce à ses 18 plateformes articulées qui offrent de multiples combinaisons pour la scène et la fosse de l'orchestre. Le théâtre dispose d'une capacité d'entre 1 748 et 1 854 places en fonction des besoins du montage, distribuées sur 28 loges à plusieurs étages, ainsi que huit proscenium et la Loge Royale, deux fois plus haute.
Le seul étage exclusivement consacré au public s'appelle « La Rotonda » et fait le tour complet du bâtiment. On y trouve quatre grands salons décorés dans différents tons avec des objets du patrimoine national et du musée du Prado. De même, les lampes ont été fabriquées spécialement pour le théâtre à la Fábrica Real de La Granja.
Tim Murray

Le chef D'orchestre britannique Tim Murray est directeur musical associé de l'Opera de Cape Town et a été finaliste “Newcomer” aux International Opera Awards 2015.
Parmi ses engagements actuels et futurs, on peut citer Street Scene au Teatro Real, Madrid et Oper Köln, Mandela Trilogy au Dubai Opera et Hong Kong Arts Festival, Der fliegende Holländer et Peter Grimes au Cape Town Opera, Carmen au Royal Danish Orchestra and Ballet, un concert Stravinsky avec le London Philharmonic Orchestra, The Dark Mirror: Zender's Winterreise au Shanghai Opera et Symphony Orchestra, A Child of our Time à l'Orquesta y Coro de Radio Televisión Española et un programme comprenant le Sacre du Printemps (chorale Wayne McGregor) pour le Hong Kong Philharmonic et ballet.
Il a récemment dirigé la trilogie Mandela au Cape Town Opera (tournée au Royaume-Uni, Festival de Ravenne), The Merry Widow et Carmen au Cape Town Opera, Porgy et Bess au Teatro Colón et Teatro Real, Madrid, et au Royal Opera House, Covent Garden, Out of the Ruins de Charlotte Bray (première)la et la première au Royaume-Uni de The Importance of Being Earnest, qu'il a repris au Barbican.
Il fait ses débuts au Gran Teatre del Liceu à Barcelone et au Théâtre du Châtelet à Paris avec Street Scene. Il dirige Porgy et Bess au Liceu de Barcelone et à L'Opéra National de Bordeaux, ainsi qu'au London Coliseum (avec le Welsh National Opera) et au Artscape Theatre de Cape Town.
Ses concerts comprennent les BBC Proms (avec le Birmingham Contemporary Music Group), le Philharmonia Orchestra, Cape Town Philharmonic Orchestra, BBC Concert Orchestra (œuvres de Stravinsky et Ligeti), Chroma (y compris les œuvres de Jonathan Harvey), le National Symphony Orchestra of Ireland, le Festival of English Music au Gand Conservatorium et les BBC Singers. Il est l'assistant régulier de Vladimir Jurowski et de L'Orchestre Philharmonique de Londres, et a récemment dirigé l'orchestre au Royal Festival Hall (œuvres D'Ullmann, Klein et Krása), en plus de diriger des concerts éducatifs, des projections de films et un concert télévisé depuis le stade de Wembley.
D'autres projets d'Opéra contemporains: The Freedom Game au Royal Albert Hall, Sadler's Wells, Hogarth's Stages Royal College of Music, Babur à Londres avec the Opera Group, Fantastic Mr Fox à Opera Holland Park et le Silent Twins à l'Almeida Opera. Ancien directeur musical du Festival Tête à Tête à Londres, il a dirigé 22 premières mondiales.
En danse contemporaine, il a récemment dirigé le Ballet Royal à Covent Garden, dont Nyx d'Esa-Pekka Salonen. Il a collaboré avec le chorégraphe Wayne McGregor pour ses débuts en 2014 avec le Royal Ballet de Covent Garden et le Théâtre Bolchoï à Moscou, dirigeant l'arrangement de Michael Berkeley de L'Art de la Fugue de Bach. Précédentes collaborations avec McGregor: la première de Undance Sadlers Wells de Mark-Anthony Turnage, enregistrée pour NMC Records. D'autres projets de danse incluent Le Sacre Du Printemps Hamburg/Cape Town City Ballet, L'Histoire du Soldat avec le Tokyo New National Theater et Osaka, et The Wind in The Willows et Pinocchio ROH, qui sont toutes des collaborations avec le chorégraphe Will Tuckett.
Murray a étudié à l'Université de Cambridge, au Royal College of Music, au Tanglewood Music Center et avec Oliver Knussen à la Britten-Pears School.
John Fulljames

John Fulljames est metteur en scène au Royal Opera House à Londres et ancien directeur artistique de l’Opera Group.
Parmi ses récentes productions, on peut noter The Snow Maiden (Opera North) , la première mondiale de Benjamin, dernière nuit à l’Opéra de Lyon, Cosi fan tutte (Carsington Opera et Opéra de Bucarest),Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny, Orphée et Euridice, La Donna del Lago (Royal Opera House), Nabucco (Opéra national de Lorraine), les premières mondiales de The Firework Maker’s Daughter de David Bruce, adapté de la nouvelle de Philip Pullman, et d’American Lulu d’Olga Neuwirth pour The Opera Group, Quartet de Luca Francesconi (Royal Opera House) et Juliette ou la Clé des songes (Brème). Précédemment, il a mis en scène Baburin London (The Opera Group), Where the Wild Things Are (Brème), Von Heute auf Morgen (Schoenberg) et Sancta Susanna (Opéra de Lyon) ainsi que Das Portrait (Bregenz, Kaiserslautern), Snegurochka and Susannah (Wexford Festival), Une Tragédie florentine, Gianni Schicchi et Mavra (Opéra national de Grèce).
Son spectacle Street Scene (The Opera Group et Young Vic) a reçu en 2008 le prix de la meilleure comédie musicale aux Evening Standard Awards et a été présenté au Châtelet à Paris, puis au Liceu de Barcelone.
Pour Opera North, il a également mis en scène Les Voyages de M. Brouček, Roméo et Juliette (Gounod), Hansel et Gretel, Saül, De la maison des morts (Janáček).
Parmi ses projets, on peut citer Street Scene au Teatro Real de Madrid, et Germania à l’Opéra national de Lyon).
- Metteur en scène
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