L'Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, Roi du Cambodge
Théâtre du Soleil Dramateek 17
L’HISTOIRE TERRIBLE MAIS INACHEVÉE DE NORODOM
SIHANOUK, ROI DU CAMBODGE d’Hélène Cixous
Re-création en khmer d’après la mise en scène d’Ariane Mnouchkine (1985)
Mise en scène Georges Bigot et Delphine Cottu
Direction historique et textuelle Ashley Thompson
Traduction Ang Chouléan
Avec Chea Ravy, Chhit Chanpireak, Chhith Phearath, Horn Sophea, Houn Bonthoeun, Huot Heang, Huot Hoeurn, Khuon Anann, Khuonthan Chamroeun, Mao Sy, Nov Srey Leab, Nut Sam Nang, Ong Phana, Pin Sreybo, Pov Thynitra, Preab Pouch, Sam Monny, Sam Sarry, San Marady, Sim Sophal, Sok Doeun, Sok Kring, Thorn Sovannkiry, Uk Kosal, Uk Sinat
Et les musiciens Norng Chantha, Pho Bora, Pring Sopheara, Vath Chenda
Lumière Georges Bigot, Olivier Petitgas
Costumes Elisabeth Cerqueira, Marie-Hélène Bouvet, d’après les costumes originaux
Masque Erhard Stiefel
Interprète et sur-titrage Rotha Moeng
Décor et accessoires Everest Canto de Montserrat, Elena Antsiferova
Régie Olivier Petitgas, Vincent Lefevre, assistés de Sam Sopheak et Sonia Chauveau
Constructeurs bois Jules Infante, Florentin Guesdon, David Buizard
Assistantes à la mise en scène Sophie Piollet, Caroline Panzera
Archives Marie Constant, Franck Pendino
En 1985, au moment où le Théâtre du Soleil crée la vaste pièce (en deux
parties de cinq actes chacune) L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge, on est vraiment au milieu du champ chaotique de l’histoire d’un pays qui a été pris dans le cyclone politique mondial, piétiné, bombardé de toutes parts par les puissances impérialistes occidentales puis asiatiques, voué à un génocide auto-immunitaire, dévoré par les siens, déchiqueté par ses voisins. On n’a jamais vu si pitoyable destin. Jamais faiseurs de théâtre ne se sont trouvés si avant dans les ruines, en réalité, à la charnière brûlante des événements, avec des charniers et des nids de combattants à leurs côtés. Jamais création théâtrale ne fut si chargée d’urgences et de responsabilités
Sans doute alors, sans que nous l’ayons calculé, un pacte de solidarité, une alliance secrète et même sacrée, s’établirent-ils entre le Théâtre du Soleil, petite communauté portée par les forces du rêve et de l’engagement dans le monde, et le peuple cambodgien, en difficile convalescence. [...] C’est ainsi qu’arrive en 1985, en spectatrice du Théâtre, une jeune chercheuse américaine, Ashley Thompson. Elle « voit » L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge. Sous le coup de l’émotion, se produit en elle une décision remarquable. Comme si elle était entrée dans la pièce comme dans l’histoire du Cambodge, elle se rend sans tarder dans ce pays [...]. Après vingt ans de travail sur le terrain, au titre des « Humanités », en tant que linguiste anthropologue, l’idée se présente à elle que le temps est venu pour les nouvelles générations khmères de se réapproprier activement et sous une forme vivante et splendide, ce qui gît derrière eux à l’état de passé inquiétant et méconnu, la mémoire silencieuse des années rouge sombre.
Le temps est venu, et les porteurs d’avenir sont prêts : il y a, au bord de la scène, ces dizaines d’acteurs cambodgiens auxquels on doit la vie éclairée qu’ils attendent ; il y a là ces acteurs occidentaux souvent français, du Théâtre du Soleil, qui vont joyeusement à la rencontre de ces générations khmères, afin de partager leur double expérience et faire cause et création communes.
Car l’art est déjà là : lorsque j’ai vu les documents filmés des répétitions menées depuis des mois, avec des bouts de tissus pour palais, une chaise en plastique pour trône et une casquette pour une armée, j’ai été bouleversée par la puissance de vérité, la beauté d’évocation, le talent inouï de ces « commençants » déjà géants. Ce qui s’annonce là-bas, à Phnom-Penh ou Battambang, c’est une expérience inouïe : la renaissance d’une culture, revenant à elle-même après un désastre, à l’appel de ses nouveaux arrivants. C’est que la confiance en la cause, la conviction que la cause est juste, donne vraiment des ailes. Il y a là-bas un régiment d’anges dépenaillés. Les plumes tiennent avec des brins de ficelle.
Hélène Cixous, mai 2010
La création de L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge en langue khmère, au Cambodge, était un rêve peut-être déjà secrètement formulé par Ariane Mnouchkine en 1985, lorsqu’elle créait le spectacle en français à Paris. À l’initiative d’Ashley Thompson, Ariane Mnouchkine est retournée au Cambodge en 2007 et y a rencontré de jeunes artistes, rendus extrêmement prometteurs par un cadre pédagogique d’exception : les élèves circassiens de l’École des Arts Phare Ponleu Selpak à Battambang.
Le Théâtre du Soleil est d’abord intervenu à l’École Phare dans le cadre d’ateliers de théâtre, à partir de décembre 2007, date à laquelle Maurice Durozier et Georges Bigot, qui interprétait le roi Sihanouk dans la mise en scène d'origine, sont arrivés à Battambang en premiers éclaireurs. Puis Ariane Mnouchkine dirigea un atelier en janvier 2008, et fut relayée ensuite par d'autres comédiens de la troupe, comme Hélène Cinque et Delphine Cottu, comédienne au Théâtre du Soleil depuis 1997.
Ces premières interventions ont fait naître la volonté de construire avec ces jeunes apprentis comédiens khmers un projet artistique exigeant, impliquant un développement collectif, sur le long terme et plusieurs rendez-vous successifs avec les membres du Théâtre du Soleil, autour de la seule pièce du répertoire contemporain mondial sur l’histoire récente du Cambodge : L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge.
Dans cette perspective, le projet est plus particulièrement confié, au sein du Théâtre du Soleil, à Georges Bigot et à Delphine Cottu, qui travaillent aujourd’hui à une adaptation de la pièce mûrie au cours des deux dernières sessions d’ateliers, en lien étroit avec Hélène Cixous, l’auteur de la pièce originale en français et Ang Chouléan, traducteur cambodgien. S’inspirant de leurs expériences respectives, Georges Bigot et Delphine Cottu proposent à la jeune troupe débutante un travail artistique fondé sur une recherche collective, à partir d’improvisations. Une vision démocratique et originaire du travail théâtral, où l’acteur est créateur. Essayant eux-mêmes tous les personnages, ils sont allés au plus proche de ce qu’auront à traverser les comédiens, afin de mieux pouvoir leur indiquer le chemin à suivre. Ils ont cherché à leur apprendre, avec les modestes moyens du théâtre alors à leur disposition, à donner, à voir et recevoir, à mettre leur force d’imagination au service de « visions » qui trouvent diversement leur origine dans l’enfance, les traditions rituelles ou artistiques, ou encore les souvenirs vécus ou relatés de la guerre et de la terreur. Un travail de réminiscence...
Le développement du travail a naturellement abouti au désir de représentations publiques du spectacle. Car l’enjeu est de faire (re)découvrir au public l’histoire terrible mais inachevée du Cambodge et du peuple khmer, dont les tragédies actuelles placent ce pays en tête des pays prioritaires pour l’aide au développement. Pour son édition 2011, le festival Sens Interdits s’est fortement engagé auprès des jeunes comédiens cambodgiens en les accompagnant dans le processus de création en qualité de coproducteur du spectacle. Egalement producteur délégué, le festival s’est chargé d’organiser la tournée de Sihanouk en Rhône-Alpes.
« Nous reviendrons, nous reviendrons », c’est sur ce refrain que nous avons laissé les trente jeunes comédiens khmers en 2011, convaincus de la nécessité de continuer l’épopée de la création du Sihanouk et certains de vouloir mettre toutes nos forces pour rendre ce retour possible. Cet « au revoir » tellement émouvant d’artistes cambodgiens chantant leur hymne national sur les planches des Célestins, sur le légendaire plateau du Théâtre du Soleil ou sur d’autres scènes à travers la France nous renvoie à l’immensité et la force symbolique, artistique, humaine de cette aventure qui, à ses origines, ne semblait être qu’un rêve inatteignable. Aujourd’hui, notre désir de poursuivre cette aventure est consolidé par le succès de cette première tournée : 8 606 spectateurs ont assisté à la pièce (de trois heures en khmer sur-titré), plus de 35 articles ont paru dans la presse.
La Deuxième Époque de L’histoire terrible... , qui débute au mois de mars 1970, fait véritablement entrer sur scène les Khmers rouges et relate les terribles massacres qui ont suivi la prise de Phnom Penh le 17 avril 1975.
La création de la pièce au Cambodge aujourd’hui, avec de jeunes artistes khmers, participe des enjeux liés à la mémoire des évènements historiques que la pièce relate. C’est pour des raisons politiques que le Tribunal des crimes khmers rouges, instauré en 2006, se limite à juger une poignée de dirigeants khmers rouges agissant dans une période restreinte, de 1975 à 1979. Répondant à d’autres exigences d’ordre politique, certes, mais transcendant celles structurant la « justice » internationale, la pièce couvre une période historique plus large (1950-1980), mettant ainsi en scène et en question un éventail de personnages bien plus grand, allant des acteurs khmers à ceux des grandes puissances.
La mise en scène délocalisée du Sihanouk est au centre d’une nouvelle approche du débat traitant les spécificités d’un contexte culturel où se déploient des conceptions globalisées de la mémoire publique ou civique, du mémorial, et du procès de l’Histoire – Plus jamais ça. Est-ce qu’une certaine mémoire (et laquelle ?) peut prévenir la répétition, à l’avenir, du passé ? Ce projet implique la traduction, dans l’idiome linguistique, culturel, politique d’une post-colonie, d’une pièce historique moderne traitant d’un héritage colonial, écrite pour un public occidental.

Théâtre du Soleil
En 1871, l'atelier des poudres de la ville de Paris est détruit pendant la répression de la Commune : des mutins préférent se faire sauter avec 10 000 kilos de poudre et 400 000 cartouches plutôt que de se rendre. La détonation fait trembler toute la ville. Trois ans plus tard, il faut reconstruire des ateliers de poudres. C'est dans le bois de Vincennes que la Cartoucherie voit le jour.
L'histoire militaire de la Cartoucherie est riche des grands événements qui ont secoué la France, l'Europe et le monde. Les charges explosives utilisées sur le front pendant la Grande Guerre sont créées ici*, mais c'est depuis la Cartoucherie que l'on tire les cents coups de canon inaugurant l'exposition coloniale de 1931 au bois de Vincennes.
Durant la guerre d'Algérie, elle est transformée en centre de rétention et l'armée n'en partira qu'à la fin des années 1960. Prostituées et " blousons noirs" squattent les lieux jusqu'à l'installation, à l'été 1970, du Théâtre du Soleil dirigé par Ariane Mnouchkine. La troupe réalise elle-même tous les travaux de réhabilitation de cet espace tombant en ruine. Remise sur pied, la Cartoucherie accueille quatre autres troupes entre 1971 et 1973. En 1985, des contrats de location sont établis et des travaux entrepris. L'aventure continue aujourd'hui dans ce chaleureux ensemble théâtral né d'une aventure collective.
Le 24 août 1970, le Théâtre du Soleil investit les nefs de la Cartoucherie alors à l'abandon. Dès septembre, Le Conseil de Paris confie à la troupe trois locaux pour une durée de trois ans. le premier des trois halls (1600 m2) sert aux représentations publiques; le deuxième sera transformé en salle de répétitions, le troisième en atelier pour les décors, les costumes et la technique. C'est parce que l'existence de la troupe était suspendue à la recherche d'un lieu et que la compagnie a décidé de transformer elle-même ce local conçu initialement comme un simple lieu de répétitions, en local ouvert au public, pour les représentations. L'intérêt étant d'offrir un vaste espace vide qui ne peut imiter la technologie des salles transformables ou polyvalentes.
- Théâtre du Soleil Cartoucherie 75012 Paris, France
Phare Ponleu Selpak

Trente jeunes artistes cambodgiens impliqués dans la mise en scène du Sihanouk au Cambodge sont tous des élèves de l’École Phare Ponleu Selpak, une grande école d’arts du spectacle, de musique et d’arts visuels qui se trouve à Battambang au nord-est du Cambodge.
PPS tire ses origines d’ateliers de dessin pour enfants organisés dès 1986 au Site 2, un camp de réfugiés situé à la frontière thaïlandaise. L’idée d’une association créative visant à favoriser l’expression des enfants, notamment à travers l’art, afin de dépasser les traumatismes de la guerre et de la vie en camps, est donc née de ces ateliers. Cette idée guide encore aujourd’hui le travail du PPS. Centralisant son action autour de la pratique artistique déclinée sous ses multiples formes et applications, PPS entend d’une part, non seulement favoriser l’expression artistique mais aussi répondre aux besoins psychosociaux des enfants cambodgiens (instruction, savoir-vivre, savoir- être, développement personnel) et, d’autre part, favoriser la réappropriation par les populations et la renaissance de la culture au Cambodge ; culture qui fut sérieusement et profondément endommagée par les années de guerre en général.
Au début des années 90, l’école s’installe dans le village d’Anchanh, près de Battambang. Quatre anciens élèves de l’école, devenus à leur tour professeurs, se chargent de sa direction. L’école évolue énormément avec la fondation d’une troupe de cirque en 1998 par Khoun Det, l’un des quatre directeurs. Les ateliers de cirquefont que l’école s’ouvre à d’autres élèves – pour la plupart déscolarisés ou abandonnés. La troupe de théâtre de Phare a été créée en 2000. Elle se compose de jeunes circassiens. Son objectif est d’offrir au public cambodgien des outils de réflexion pertinents sur des problèmes sociaux contemporains comme le SIDA, le trafic des enfants, l’hygiène et la violence conjugale. De nombreux membres de la troupe viennent eux-mêmes d’une situation familiale difficile et ont été déscolarisés très tôt pour aider leurs familles. La pratique du cirque puis celle du théâtre est alors devenue pour eux un moyen de se sortir de la rue, de se responsabiliser et d’aider leur famille de manière honnête.
PPS est aujourd’hui l’un des plus importants centres culturels au Cambodge. Avec le soutien du ministère de l’Éducation, de l’ambassade de France au Cambodge et d’un fond d’aide bilatéral japonais, entre 2002 et 2006, PPS a fait construire une école primaire, un collège et un lycée sur son site. 1 250 enfants y viennent chaque jour. La scolarité y est gratuite, et PPS a créé une bibliothèque mettant du matériel pédagogique à disposition de tous les élèves.
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